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Dr. Denis Audet, omnipraticien

Denis Audet
Médecin omnipraticien Professeur de clinique dans le département de médecine familiale et médecine d’urgence, Université Laval Membre fondateur d’ATAQ

LES MÉDICAMENTS ET L’ANXIÉTÉ

Je souffre d'un trouble anxieux, est-ce que je devrais prendre une médication… ça me fait un peu peur ? La question est très souvent posée et dénote une préoccupation tout à fait légitime, d'autant plus que la peur est en soi une manifestation fondamentale de l'anxiété. Aucune réponse n'est valable pour toutes les personnes. Examinons donc ici l'ensemble des considérations qui permettront à chaque individu de prendre une décision éclairée.

Le cerveau : une bouillie chimique et électrique

De la même façon que le reste du corps humain, le cerveau dépend d'une myriade d'influx chimiques et électriques pour fonctionner. Ce que nous ressentons comme des pensées, des désirs et des émotions résulte d'une activité intense : des neurones transforment le courant électrique en substances qui contrôlent d'autres neurones selon des circuits très complexes. Ces produits qui modulent l'activité cérébrale sont appelés neurotransmetteurs. Il en existe plusieurs types, mais les plus connus sont la sérotonine, la noradrénaline et la dopamine. On peut les comparer à des clés qui s'insèrent dans différentes serrures qu'on appelle récepteurs. Une clé peut ouvrir, fermer ou bloquer un circuit selon la région du cerveau où se trouve un récepteur. La quantité et la sensibilité de ces récepteurs s'adaptent à la stimulation qu'ils reçoivent et chaque circuit en influence un autre.

Au départ, les neurotransmetteurs et hormones qui modulent l'activité cérébrale sont produits par le corps humain lui-même. D'autres substances chimiques psychoactives proviennent également de sources végétales et animales qui font partie de l'alimentation et de l'environnement de l'humain qui s'y est adapté au fil des millénaires. La substance psychoactive naturelle la mieux connue est sans aucun doute l'alcool. Les récits bibliques décrivent bien les effets troublants du jus obtenu par la fermentation des raisins. Dès l'antiquité, le vin a été reconnu pour augmenter l'interaction sociale et a ainsi été associé à toutes les festivités. On décrivait par contre des effets déplorables sur le comportement de qui en abusait. De la même façon, l'humain a assimilé l'utilisation de l'opium et du coca à des fins thérapeutiques avant de découvrir les conséquences désastreuses.

Vouloir soulager l'anxiété

Qu'elle soit normale ou maladive, comme c'est le cas dans les troubles anxieux, l'anxiété est toujours ressentie comme quelque chose de désagréable dont on aimerait bien se débarrasser. Fuite, combat, évitement, résolution de problème sont autant de façons de le faire. Il suffirait donc la plupart du temps d'éliminer ce que l'on croit être la cause de l'anxiété. Ceci n'est cependant pas toujours possible, sans compter qu'il arrive parfois qu'une personne soit tout simplement incapable d'identifier la source de son anxiété. Il devient alors compréhensible de rechercher des moyens pour éliminer non pas la cause, mais la sensation même de l'anxiété.

Différentes régions du cerveau sont impliquées dans la régulation de l'anxiété et reliées entre elles par des circuits neuronaux. Si on simplifie énormément, on peut parler du système limbique et du cortex préfrontal. Le système limbique est le plus ancien dans l'évolution du cerveau animal, c'est celui qui permet de ressentir et réagir immédiatement aux besoins primaires de protection, d'alimentation ou de reproduction. Il est directement relié à un système d'alarme qu'il déclenche en quelques microsecondes dès la perception d'un danger. Il prend alors les commandes, ici pas question de réflexion ni d'analyse d'une situation. Le cortex préfrontal est apparu beaucoup plus tardivement au cours de l'évolution chez l'humain, c'est le siège du jugement. C'est lui qui compare différents points de vue face à une situation, qui recherche des éléments comparables dans la mémoire et qui va favoriser un comportement adapté. Ce processus est bien sûr beaucoup plus lent.

Les deux systèmes sont reliés et interagissent selon certaines règles. Le système limbique est en mode automatique, toujours actif, même durant le sommeil où il est important par exemple de réagir à une odeur ou un son inhabituels. Face à un danger potentiel dans l'environnement, il est toujours activé en premier et prend le contrôle des réactions physiques comme l'accélération des battements cardiaques. Une importante activation du système limbique va jusqu'à déconnecter temporairement le cortex préfrontal. Ainsi, nous avons tous déjà réagi inadéquatement dans une situation où nous avons été pris par surprise pour nous rendre compte ensuite que nous savions très bien ce qu'il aurait fallu faire. En autres temps, les deux systèmes font bon ménage, de sorte que l'on fonctionne de façon plus rationnelle ou plus émotionnelle selon le contexte. Chez les personnes souffrant de troubles anxieux, on se rend compte que le système limbique tend à garder le dessus, vraisemblablement en raison de facteurs génétiques, expérientiels ou environnementaux.

Ultimement, les traitements psychologiques et pharmacologiques de l'anxiété vont chercher à désensibiliser ou atténuer l'activité du système limbique, ou encore renforcer les connexions du cortex préfrontal.

Les produits qui agissent sur l'anxiété

On avait mentionné plus tôt que l'alcool est une des plus anciennes substances connues pour avoir un effet sur le cerveau. En fait l'alcool est toxique, suffisamment pour tuer quelqu'un en surdose ou le faire mourir de cirrhose après plusieurs années de consommation élevée et régulière. L'alcool altère toutes les fonctions du cerveau, à commencer par le jugement puis l'humeur, la coordination motrice et finalement la respiration. On le définit donc comme un dépresseur du système nerveux central. Pourtant l'effet de l'alcool, consommé en quantité modérée, est généralement perçu par la plupart d'entre nous comme agréable. Il enlève la peur, l'inhibition, l'inquiétude et facilite l'induction du sommeil. Par contre il peut aussi rendre triste, agressif, défaire le caractère réparateur du sommeil et créer une dépendance. En fait la plupart des substances qui agissent sur notre fonctionnement peuvent avoir des effets salutaires à petite dose et être toxiques à haute dose, ceci s'applique même à celles qui sont sécrétées par notre propre corps comme la cortisone, la thyroxine ou l'insuline.

Ce dont il est primordial de tenir compte c'est la différence entre la quantité utile et la dose toxique d'une même substance. Dans le cas précis de l'alcool, la consommation dite normale est très proche de la zone toxique. Y recourir pour soulager l'anxiété équivaut à exposer tout son organisme à des risques inacceptables à moyen et long terme. On a cru, au début du siècle, trouver une alternative valable avec les barbituriques, plus acceptables socialement, mais on s'est vite rendu compte qu'ils n'étaient aucunement moins toxiques, à preuve leur utilisation fréquente pour la complétion de gestes suicidaires. La recherche continuait en vue de trouver des médicaments qui diminueraient l'anxiété sans affecter d'autres fonctions mentales ou corporelles. C'est ainsi que les benzodiazépines ont été commercialisées il ya une cinquantaine d'années. On a connu la première sous le nom de Librium, suivie du Valium. Plusieurs autres ont suivi, pour ne nommer qu'Ativan, Xanax, Lectopman ou Rivotril. Elles n'avaient pas seulement un effet immédiat contre l'anxiété, mais aussi comme relaxants musculaires. Certaines ont été commercialisées en tant que somnifères et antiépileptiques. D'un autre côté, on a fini par découvrir qu'elles altéraient la mémoire et qu'elles pouvaient engendrer une dépendance. Fait intéressant, il existe des molécules qui ont un effet inverse sur les récepteurs de benzodiazépines. Leur effet s'apparente alors à celui d'un psychostimulant : elles augmentent l'anxiété et le risque de convulsions.

Il faudra plusieurs années pour qu'on découvre l'efficacité de certains antidépresseurs contre le trouble panique, l'anxiété généralisée puis le trouble obsessionnel-compulsif. On a mentionné plus tôt les neurotransmetteurs que sont la sérotonine, la noradrénaline et la dopamine. C'est précisément sur l'activité de ceux-ci que les antidépresseurs agissent. Ceux qui augmentent en particulier l'activité de la sérotonine sont pour la plupart efficaces contre l'anxiété, mais cet effet, tout comme leur effet antidépresseur, n'est pas du tout immédiat. Il faut que la sérotonine ait le temps de stimuler la production de protéines qui favorisent le développement et la connexion des neurones, ce qui prend quelques semaines. Cet effet de certains antidépresseurs contre l'anxiété a mené à une meilleure compréhension des liens entre celle-ci et la dépression. D'ailleurs, ces deux conditions se manifestent fréquemment chez les mêmes personnes.

Les médicaments prescrits

Les médicaments sont une option parmi d'autres qui doivent être considérées pour traiter l'anxiété. Les médecins vont aussi vérifier si l'anxiété n'est pas causée par autre une maladie ou un dérèglement, ou encore par une substance, par exemple la caféine et les décongestionnants en vente libre, ou les drogues. Il est évident dans tous les cas que l'approche logique est de supprimer la cause de l'anxiété. Si une médication s'avère nécessaire, les médecins disposent de différentes classes de médicaments.

On a mentionné plus haut les benzodiazépines, elles étaient majoritairement prescrites dans les années 70 et 80. Bien que beaucoup moins à la mode, elles sont encore couramment utilisées. Leur effet puissant et immédiat contre l'anxiété ne s'est jamais démenti, par contre on avait sous-estimé initialement leurs effets sur la coordination motrice et la mémoire ainsi que leur risque d'accoutumance.

Celles qui ont une longue action augmentent la confusion et les chutes chez les personnes âgées. Ceci dit, elles présentent très peu de risques pour la majorité des personnes à qui elles sont toujours prescrites.

Durant la même période, on découvrait les effets antipanique de certains antidépresseurs, en particulier ceux qui agissaient sur la sérotonine. Les plus anciens étaient relativement peu prescrits en raison de la lenteur de leur effet, de leur toxicité et du peu de connaissances qu'on avait à l'époque sur l'ensemble des troubles anxieux. Depuis le début des années 90, l'arrivée des ISRS (inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine) a tout changé. Ainsi on a vu apparaître dans l'ordre la fluoxétine (Prozac), la fluvoxamine (Luvox), la sertraline (Zoloft), la paroxétine (Paxil), le citalopram (Celexa) et l'escitalopram (Cipralex). Non seulement ces antidépresseurs sont beaucoup plus sécuritaires, mais l'efficacité de plusieurs d'entre eux a été démontrée dans l'ensemble des troubles anxieux.

Il y a une autre catégorie de médicaments qu'on utilise de façon moins répandue pour le traitement de l'anxiété et cela peut surprendre puisqu'ils ont initialement été développés comme antipsychotiques. Des combinaisons d'anciens antidépresseurs avec des petites doses des anciens antipsychotiques, comme l'Étrafon, ont été très en vogue il y a une trentaine d'années, mais l'arrivée des antipsychotiques de seconde génération, aussi appelés atypiques, ont complètement changé le paysage en raison de leur faible risque d'entrainer des effets neurologiques graves. Au Canada, on les a connus sous les noms de Risperdal, Zyprexa, Seroquel, et plus récemment Zeldox. À partir du principe qu'à petite dose, plusieurs antipsychotiques augmentent l'effet des antidépresseurs qui agissent sur la sérotonine, on les a tous testés dans différents contextes qui n'ont rien à voir avec les psychoses. On sait ainsi maintenant qu'ils ont tous une efficacité dans la maladie bipolaire et que le cas de la quétiapine (Seroquel) est très particulier : il suffit à traiter non seulement la dépression bipolaire, mais également, à plus petite dose la dépression unipolaire et l'anxiété. Les principaux obstacles à son utilisation plus courante sont un effet passablement sédatif chez certaines personnes et la peur suscitée par sa classification initiale sous le vocable d'antipsychotique.

Les effets indésirables

Les substances qui agissent sur l'organisme, même celles produites par celui-ci, le font habituellement de plus d'une façon et sur différents organes. Un mécanisme d'action favorable sur un système peut en affecter négativement un autre.

Les médicaments n'échappent pas à cette règle. Un des défis de la recherche dans ce domaine est justement de développer des médicaments qui sont à la fois efficaces, sécuritaires et bien tolérés. On sait par exemple que les effets indésirables, surtout ceux reliés à l'augmentation de la sérotonine constituent le principal motif d'abandon des antidépresseurs en début de traitement, avant que l'effet bénéfique ne se manifeste. Par la suite il est possible de voir apparaître des effets sexuels ou une prise de poids. De leur côté, certains antipsychotiques peuvent modifier les taux de glucose et de lipides sanguins. Les benzodiazépines, pour leur part, vont surtout affecter la mémoire et la coordination motrice, d'une façon subtile dont la plupart des gens ne se rendent pas compte, mais réellement dangereuse chez les personnes âgées.

Pourquoi telle sorte de pilule plutôt que telle autre ?

Si la décision de prendre ou non une médication est tout à fait personnelle, le choix du médicament approprié requiert des connaissances professionnelles. Le médecin devra tenir compte de plusieurs facteurs : le diagnostic principal, les comorbidités (les autres maladies à côté du diagnostic principal), vos antécédents personnels et familiaux, les autres médicaments que vous avez pris dans le passé pour le même problème, ceux que vous prenez actuellement pour d'autres problèmes, vos attentes et vos craintes particulières. Il doit se tenir au courant, en raison d'une incessante recherche scientifique, des connaissances qui évoluent très rapidement et qui font qu'on connaît de mieux en mieux les forces et les faiblesses de chaque type de traitement.

Pour combien de temps les médicaments ?

Les recommandations sont plus précises dans le traitement de la dépression que dans celui des troubles anxieux. On considère de plus en plus la dépression comme une maladie chronique, très récidivante. Les recommandations minimales sont de traiter un an un premier épisode dépressif, 5 ans s'il y en a un deuxième, à long terme si un troisième survient. Les personnes qui ne présentent qu'un seul épisode dépressif au cours de leur vie sont malheureusement une minorité, il peut donc être avantageux de maintenir le traitement initial plus longtemps dans la mesure où il est bien toléré. On sait par ailleurs qu'il n'est pas bon d'arrêter et recommencer plusieurs fois la prise d'antidépresseurs, ceci peut induire la perte de leur efficacité.

Dans le cas des troubles anxieux, il semble aussi y avoir une certaine chronicité. Ces derniers n'ont pas le même genre de conséquence que la dépression, mais ils peuvent y conduire. Un des problèmes est qu'on remarque un taux élevé de rechutes après l'arrêt de la médication, ce qui n'est pas le cas après un traitement psychologique. Ceci signifie que, idéalement, on devrait d'abord favoriser le traitement psychologique des troubles anxieux, lorsque cela ne semble pas fonctionner il faudrait introduire la médication, vraisemblablement à long terme. On pourra essayer de la diminuer très lentement, possiblement en réintroduisant le traitement psychologique. La présence d'un trouble anxieux et de la dépression chez la même personne rend le traitement plus difficile et on recommande généralement d'appliquer les deux formes de traitement. Il est normal qu'éventuellement une personne remette en question la pertinence de continuer de prendre une médication.

Il ne faut surtout jamais la cesser brusquement, car ceci risque de provoquer à court terme au mieux des symptômes de sevrage très désagréables et au pire moyen une rechute à moyen terme. Il faut consulter son médecin ou son pharmacien pour connaître la façon d'éventuellement réduire ou arrêter le traitement en minimisant les risques potentiels.

Les médicaments sont-ils compatibles avec le traitement psychologique ?

On pourrait croire de prime abord que les traitements psychologiques et médicamenteux de l'anxiété sont très opposés alors qu'en réalité ils produisent des changements assez comparables dans le fonctionnement du cerveau. Il faut cependant tenir compte qu'à l'arrêt d'une médication, le système tend à revenir graduellement à son niveau initial d'équilibre ou de déséquilibre. Ce phénomène est beaucoup moins marqué après un traitement psychologique réussi. Le principal problème qu'on relie à l'utilisation simultanée des deux types de traitement en est un d'attribution.

Ceci signifie qu'une personne qui observe des progrès peut difficilement distinguer si ceux-ci sont dus aux pilules ou à la thérapie, ou aux deux et dans quelle proportion. Pour minimiser ce phénomène et s'il n'y a pas de dépression, on peut recommander de débuter avec le traitement psychologique et d'introduire la médication si la réponse est absente ou laisse à désirer après quelques semaines. On peut donc certainement mélanger les ingrédients de base, mais il n'existe pas de recette absolue qu'on pourrait appliquer sans discrimination à tout le monde.

Attitude personnelle envers les médicaments

Nous avons tous une attitude personnelle face à un médicament prescrit. Certains y voient une solution à tous leurs maux, une protection contre divers incidents de santé, d'autres y recourent in extremis quand ce n'est pas trop tard. Plusieurs les considèrent comme des béquilles. Quelle que soit notre perception, elle est souvent plus émotionnelle que rationnelle. Elle résulte de l'intégration d'expériences et de l'interprétation d'observations accumulées au cours de notre vie. Ainsi, on confond facilement les effets d'un médicament avec ceux de la maladie qu'il traite, ou on ne veut pas s'identifier avec des personnes qui ont reçu par exemple des antidépresseurs ou des antipsychotiques. N'hésitez donc pas à exprimer vos craintes à votre médecin ou à votre pharmacien. L'acceptation et la compréhension d'un diagnostic ainsi que la relation de confiance avec le professionnel traitant sont à la base l'adhérence thérapeutique.

En conclusion

Il existe des médicaments très efficaces pour traiter les troubles anxieux, mais aucun n'est parfait et efficace dans 100% des cas. La thérapie comportementale cognitive constitue la principale alternative thérapeutique, ellecomporte elle aussi ses avantages et ses inconvénients. Les deux sont tout à fait compatibles. Si vous choisissezde recevoir une médication, assurez vous de bien savoir à quoi vous attendre et suivez fidèlement la prescription.Si en cours de traitement, vous croyez qu'il est préférable de la cesser, ne le faites surtout pas brusquement etsans consulter.

Enfin, nous vous encourageons dans votre recherche d'informations, mais soyez prudents sur Internet, on y trouve le meilleur et le pire, assurez-vous que les sites que vous visitez sont ceux d'organismes crédibles et officiels, ce qui n'est pas toujours facile.